- INSTRUMENTS DE MUSIQUE - Restauration des instruments
- INSTRUMENTS DE MUSIQUE - Restauration des instrumentsLes instruments de musique, bien souvent objets d’art, ont pourtant vocation de servir; cette particularité rend leur bonne conservation difficile. Une restauration correcte doit non seulement en respecter l’aspect extérieur, mais aussi restituer toutes les propriétés sonores.Des choix souvent difficiles s’imposent. Les restaurateurs du passé ne soupçonnaient pas toujours l’importance des options qu’ils prenaient lorsqu’ils décidaient de moderniser un instrument au lieu d’en respecter la nature. Le développement de la recherche historique dans ce domaine instrumental a permis, depuis la fin des années soixante-dix, de prévenir un certain nombre d’erreurs et, dans les cas complexes, de prendre des décisions raisonnées. Il est essentiel de réserver l’avenir en dressant pour chaque travail de restauration un dossier qui jouera le rôle de témoin.1. Dégradation et restaurationSi des objets de collection, conservés avec toutes les précautions nécessaires, ont, de nos jours, de grandes chances de traverser plusieurs siècles, il n’en va pas de même des instruments de musique, dont la vocation est d’être joués. Leur longévité est d’ailleurs variable. Une dégradation à peu près inéluctable se produit à l’usage; tout joueur d’instrument à vent d’aujourd’hui sait qu’il doit en prévoir le remplacement tous les huit à dix ans. Il n’en était pas de même aux XVIIIe et XIXe siècles, où un corniste, un hautboïste, pouvait conserver son instrument durant toute sa carrière et même parfois le transmettre. Cependant, après trente ou quarante ans, l’instrument pouvait être altéré.Qu’ils soient ou non joués, les instruments restent difficiles à préserver des atteintes du temps, dans les collections privées ou publiques. La qualité des matériaux, qui sont souvent travaillés en finesse, l’équilibre précaire qui préside à leur assemblage, sont des causes possibles de dégradation.On peut donc distinguer, d’une part, une usure normale, due à l’emploi de l’instrument et aux contraintes qui s’exercent sur lui et, d’autre part, une altération anormale ou excessive. L’usure normale est prévenue, dans une certaine mesure, par un entretien régulier et le remplacement des pièces qui souffrent par suite de causes mécaniques.Certains instruments sont voués à une destruction partielle en l’absence de soins attentifs, en raison de la vulnérabilité particulière des matériaux: végétaux, tels que roseau, osier, calebasse, ou animaux, tels que plume, peau qui les composent. L’ivoire peut résister au temps tout en «travaillant» sans cesse, comme le bois. Le bois de belle qualité, s’il a été mis en œuvre selon les règles de l’art et préservé des parasites, vieillit sans rien perdre de ses propriétés sonores. Le métal, en revanche, peut s’oxyder ou se corroder.Les principaux ennemis des instruments sont donc: des conditions climatologiques défectueuses, des chocs thermiques ou hygrométriques, des chocs mécaniques, des conditions d’utilisation défavorables, l’accumulation de souillures, haleine, sueurs corrosives, des nettoyages abusifs ou maladroits, des contraintes imposées à l’instrument, sans proportion avec la conception initiale de celui-ci, comme l’augmentation du nombre et de la tension des cordes.La restauration proprement dite s’effectue, soit en cas d’accident grave, soit en vue d’une transformation ou d’une remise en état. Elle s’applique en majorité aux instruments savants de l’Occident.Il est rare que l’on ose, de nos jours, transformer de manière radicale un instrument du passé, témoin respectable, sans tenir compte de sa conception initiale: toutefois, des opérations de ce genre sont assez souvent pratiquées dans les orgues. Ces instruments sont, en effet, parmi les plus exposés à des remaniements, car ils sont supposés se prêter à l’exécution d’un répertoire immense.En revanche, les remises au goût du jour sont fréquemment exécutées sur les instruments populaires et les instruments extra-européens.L’un des meilleurs exemples en est la valiha de Madagascar, formée par tradition d’un tube de bambou dont les lamelles sont délicatement découpées sur le pourtour, dans le sens de la longueur, puis soulevées sur de petits chevalets pour servir de cordes; de nos jours, le tube est monté de cordes courantes en métal ou en matière synthétique.Certaines transformations se font de manière progressive: remplacement du montage en cordes, entraînant une consolidation, donc une modification de la structure intérieure; recoupe d’un instrument à vent pour changer son diapason.Certains clavecins anciens ont connu une longévité exceptionnelle parce qu’ils ont été maintenus en usage et que, lors des changements de mode, tous les vingt ou trente ans, au lieu d’être relégués dans un grenier, ils ont été modifiés et adaptés. Par une grande hardiesse et avec une économie de moyens qui nous étonnent aujourd’hui encore, des instruments du XVIIe siècle, dus à des facteurs anversois de grand renom, ont été «refaits» ou mis «à ravalement», à la française, c’est-à-dire augmentés en tessiture. Aucun restaurateur, aujourd’hui, n’oserait faire ce que pratiquaient au XVIIIe siècle les familles de grands facteurs: les Blanchet, les Hemsch et Pascal Taskin: découper la caisse, ajouter du bois à la table d’harmonie et à la caisse, remplacer les claviers, les registres et les sautereaux, en vue de modifier, non seulement l’étendue, mais les possibilités musicales de l’instrument, tout en lui conservant ses qualités de timbre.La restauration au sens propre du terme consisterait, en pareil cas, à remettre le clavecin «ravalé» dans son état primitif, et, de ce fait, détruire le travail – lutherie et décor – effectué par ces grands facteurs du XVIIIe siècle; ce serait faire courir à l’instrument un risque sans commune mesure avec l’intérêt du retour à l’état primitif. Il s’agit de faire des choix et l’on peut saisir ici la différence qui sépare la restauration de l’œuvre d’art et celle de l’instrument de musique.2. Restauration et modificationAu début du XIXe siècle, des instruments à vent, en particulier des hautbois, datant du siècle précédent, ont été percés de trous supplémentaires pour en modifier le jeu: il s’agissait d’éviter au musicien les «doigtés de fourche», dans la mesure où l’oreille n’exigeait plus un tempérament inégal et où la musique s’acheminait vers le tempérament égal. Les qualités sonores de l’instrument n’en étaient pas affectées, grâce à l’habileté des facteurs et, d’ailleurs, le hautbois de la première moitié du XIXe siècle relève de la même conception – clétage mis à part – que ses prédécesseurs.Des adaptations moins heureuses ont été faites de guitares du XVIIIe siècle, transformées en vielles à roue, de luths de la Renaissance dépecés pour être munis de manches de guitares, de ténors de violon recoupés en altos, de basses de violes de gambe devenues violoncelles. Changer radicalement un instrument par rapport à sa destination première donne rarement des résultats favorables.En pareil cas, les restaurations peuvent être tentées à condition qu’elles soient précédées d’une enquête documentaire complète sur l’état d’origine supposé. Encore s’agit-il de cas d’espèce. Le Musée de la musique (Cité de la musique, Paris) possède une vielle à roue du XVIIIe siècle, qui a été faite avec la caisse d’une guitare plus ancienne; la restaurer en vielle à roue n’aurait eu aucun intérêt, car la collection de vielles du musée est déjà riche. Elle a donc été conservée ouverte à titre de témoin de cette mode dont seuls les textes nous avaient laissé l’écho.La restauration, qui consiste à supprimer les ajouts ou les éléments de modification ayant altéré la «personnalité» première d’un instrument, est à distinguer de la remise en état. L’opportunité de l’une par rapport à l’autre est souvent source de discussion, car un instrument de musique est par nature complexe. Toucher à l’un de ses éléments constitutifs oblige à d’autres opérations, qui risquent d’entraîner le restaurateur fort loin dans ses interventions. Retirer un élément mauvais peut causer la disparition d’autres éléments qui, eux, seraient intéressants à garder pour l’histoire de l’instrument.Dans l’idéal, la restauration devrait permettre, à la fin du travail, de retrouver un instrument, le plus proche possible de ce qu’il était à l’origine, sans qu’il ait perdu de son intégrité, et de le remettre en état de jeu. Ces conditions sont rarement réunies toutes à la fois; toute restauration reste un compromis, comme l’instrument lui-même, et suppose un choix préalable.Tel instrument sera conservé à titre documentaire, et, pour cela, simplement consolidé; tel autre sera remis en condition de fonctionnement sans retour à l’état primitif, en cas d’instrument transformé; un autre sera entièrement «mis à plat», réparé et remis en mesure de jouer. Il y a non seulement un point de vue historique à considérer, mais une question d’état de conservation.Au cours du travail de restauration, il s’agira de respecter au maximum toutes les pièces qui peuvent être sauvées, et de ne remplacer que celles qui sont déformées et impossibles à remettre en état, attaquées par les parasites, ou dégradées. Les pièces de remplacement seront exécutées à l’identique, dans des matériaux de même nature et d’âge approchant.L’histoire de la restauration des instruments de musique est déjà longue; toutes les conceptions sont apparues dès le XVIIIe siècle, où la «mise à ravalement» se doublait d’une restauration lorsque l’état de l’instrument l’exigeait. Le XIXe siècle a souvent cru restaurer ce qu’il a dénaturé en le transformant à la faveur d’une réparation. Vers le milieu du XXe siècle, un esprit d’intransigeance dans la restauration a provoqué la disparition de certaines étapes intermédiaires, qui présentaient un intérêt certain. De nos jours, il arrive que des restaurateurs, par défaut de culture, suppriment des éléments jugés par eux aberrants, les remplacent par d’autres qu’ils croient plus adéquats et accomplissent ainsi des opérations irréversibles. Aussi ne saurait-on trop insister sur la prudence à observer avant d’entreprendre des restaurations importantes. Dans ce domaine, les musées ont un rôle à jouer, car, en raison de la documentation dont ils disposent, de la vue d’ensemble qu’ils peuvent avoir sur un problème, de l’habitude qu’ils ont d’appréhender une question et d’établir une méthode, ils sont à même de proposer des conseils utiles.3. L’instrument, objet de collection et de spéculationPar son aspect décoratif, l’instrument de musique devient fréquemment objet de collection et, de ce fait, tombe sous le coup de la spéculation; qui dit spéculation dit falsification; celle-ci est florissante parmi les instruments et a même donné lieu au début du XXe siècle à une industrie en Italie: un certain Leopoldo Franciolini publia un catalogue de ce qu’il vendait; il s’agissait d’instruments faits de morceaux anciens remontés dans des parties neuves ou d’instruments entièrement falsifiés. Nombre de violons sont des «arlequins», avec une table d’un facteur, un fond d’un autre. Dans les ventes publiques passent des clavecins, des épinettes, des luths qui ne gardent plus qu’un lointain rapport avec ce qu’ils ont pu être à l’origine.Les instruments à archet sont les plus atteints par la spéculation; un nombre immense d’instruments change de mains chaque jour dans le monde et, à tort ou à raison, les violonistes, les violoncellistes, sont persuadés que leur carrière se déroulera d’une manière plus éclatante s’ils se servent d’instruments italiens du XVIIIe siècle. Il est vrai que de beaux violons de grands maîtres de ces écoles italiennes, à condition qu’ils aient été bien entretenus, possèdent des propriétés incomparables pour la richesse du timbre. Mais de nombreux exemplaires ont été et restent médiocres, les siècles ne «bonifiant» que les bons. Certains instruments contemporains sont excellents. L’essentiel reste que le musicien trouve l’instrument qui lui permettra de s’exprimer pleinement. Les écarts de prix entre les instruments anciens et les instruments modernes sont trop souvent sans commune mesure avec le service que l’on attend d’eux et avec leur rendement sonore. Des modes passagères font «monter la cote» de certains luthiers qui, ensuite, sont négligés.Les archets subissent le contrecoup de la rareté: le déchet est considérable, car un archet est fragile, se répare rarement ou pas du tout et la réparation lui fait perdre une bonne partie de ses propriétés, ainsi que de sa valeur marchande. Les grands archetiers du passé, François Tourte, Dominique Peccate, Alfred Lamy, François-Nicolas Voirin, sont parmi les plus cotés et les archets de ces maîtres peuvent atteindre des prix égaux à ceux de grands violons.Le mythe Stradivarius demeure inchangé depuis le début du XIXe siècle, le prestige de son nom est tel qu’il est devenu symbole de la lutherie, symbole du violon, dans le grand public. Il est hors de doute que ce luthier a produit des instruments d’une qualité incomparable, véritables miracles de timbre, d’équilibre, de rondeur et de puissance, convenant à merveille au lyrisme du romantisme autant qu’à la pureté du classicisme. La spéculation n’a pas manqué de s’y attaquer et les violons de Stradivarius peuvent atteindre des prix vertigineux.Le grand public ignore en général qu’au XIXe siècle des violons ordinaires, construits en grande partie à Mirecourt et en Allemagne, portaient une étiquette imprimée au nom de Stradivarius et datée, n’ayant aucune valeur d’authentification de l’instrument. Ce label était en quelque sorte une indication du modèle imité – de fort loin! – par le fabricant et correspondait parfois à une notice de catalogue de vente. Nombreux sont les violons de cette sorte, encore en circulation.L’identification des instruments de lutherie est le fait d’experts assermentés, qui ont appris à former leur œil, durant de longues années, et la consultation d’ouvrages spécialisés par les profanes ne permet pas d’authentifier le vieux violon trouvé dans le grenier.
Encyclopédie Universelle. 2012.